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Éloge Funèbre
par Didier MARTIN
Professeur de Droit à l'Université de Rennes I
José DUCLOS est mort.
Aigle foudroyé dans sa puissante ascension, fils et frère arraché à l'affection des siens -pudique et possessive-, collègue et ami soustrait à la sympathie, l'estime et la considération de ses pairs, étudiants et relations, sa silhouette conquérante a pris asile au panthéon douloureux de la mémoire.
La mort -qu'il a bravé- l'a vaincu, muant sa vie ramassée en fulgurant destin. Destin énigmatique -quel en est le sens ?-, et tragique aussi -est-ce juste à 37 ans ?-. Même la foi vacille sous la suffocante émotion d'une fin si prématurée. Chacun exprimait bien l'écho, en son for, de ce dramatique dénouement lors de l'office d'adieu -sobre et déchirant- qu'on célébra pour lui en cette douce matinée du 18 avril. A l'hommage d'un printemps avancé, d'un cercle de familiers figés par la peine, s'ajoutait -profond et muet- celui des pensées amies, lointaines et éparses mais tendues vers la chapelle bordelaise de l'ultime salut. L'homme nous quittait après qu'une cruelle maladie l'eut lentement mais inexorablement défait. Au pathétique absolu d'une telle déclination il avait opposé un stoïcisme pur, un courage lisse, un espoir net : l'agrégé nous avait donné sa plus belle leçon.
José DUCLOS rayonnait du dépôt de ses origines algériennes : pétri du tragique méditerranéen, il tirait de cette conscience innée du péril des choses une ardeur paroxystique à les conjurer. Or, les dons de l'esprit ne lui manquaient pas. L'alliance du talent et de la volonté allait donc l'engager, après éclosion de son goût du droit, dans la voie doctorale puis agrégative. Il fallait son énergie, sa stature intellectuelle et son insondable ténacité pour oser relever le défi d'une thèse consacrée à la "théorie générale de l'opposabilité". Jamais l'expérience n'avait été tentée sous cette forme ; il est probable qu'elle ne le sera plus : l'auteur a tari le sujet en l'épuisant d'impériale manière.
Sans savoir encore que le temps lui était compté, il conduisit sa recherche avec fougue, impatience et renoncement : rien ne devait le distraire du projet ni obérer le progrès de sa marche. Un sujet de cette hauteur, de cette envergure, de cette richesse commande une règle monacale. Il se l'imposa avec facilité et naturel, comme s'il avait pressenti que cette uvre de jeunesse serait tout ensemble uvre de maturité et l'œuvre d'une vie ; l'instinct sans doute attisait son travail, aiguisait sa pensée et armait sa plume. Quelques années de cet inlassable affûtage devaient porter le sujet à la rougeoyante clarté de sa quintessence : l'opposabilité est, selon le cas, une vertu ou une sanction.
C'est lumineux et simple, comme le vrai ; c'est essentiel et définitif comme le beau : le don à la pensée d'un supplément d'exactitude est un privilège impérissable ; le sien, servi dans l'élégant écrin d'une écriture distinguée, s'orne de panache. Ce qu'on lit dans la préface à l'édition de la thèse est encore trop retenu : l'éclatante force de synthèse de l'œuvre s'insinue continûment dans la pensée juridique contemporaine qu'elle marque de son acuité dans la maîtrise -notionnelle et opératoire- d'un concept consubstantiel du droit lui-même. Pareil legs, rare, ne compense pas la perte d'un élève cher et proche ; il témoigne du moins de la force et de la plénitude d'un esprit, digne d'une flatteuse postérité qu'on souffre pourtant de savoir si précoce.
Brillamment agrégé, José DUCLOS plein de gratitude pour la Faculté de Droit de Rennes -qui l'avait formé, distingué et porté au succès- entreprit à Bordeaux sa carrière professorale. Il la concevait exigeante, dévouée et fructueuse. A peine eut-il le temps de s'ajuster à la chaire et de s'adapter à la toge. On le requerrait déjà pour un autre royaume.